Interview à "Rossiiskaïa Gazeta" (17 juin 2011)

Monsieur l’Ambassadeur, comment évaluez-vous la qualité actuelle des relations franco-russes ? Dans quelle mesure nos deux pays utilisent-il leur potentiel de coopération en matière d’échanges commerciaux et d’investissements ?

Je pense que le niveau actuel des échanges économiques franco-russes est satisfaisant, puisque la France est aujourd’hui le 8e partenaire commercial de la Russie. En 2010, notre commerce bilatéral a représenté 22, 6 milliards de dollars, les exportations françaises vers la Russie s’étant montées à 10, 2 milliards de dollars, ce qui fait de mon pays le sixième fournisseur de la Russie. Si l’on compare ces chiffres sur la décennie écoulée, on constate que nos relations commerciales ont doublé de volume depuis. C’est donc un résultat positif, qui doit et peut cependant encore être amélioré. En effet, les entreprises françaises, et notamment les PME, ont commencé à s’intéresser plus sérieusement au marché russe à partir des années 2005/2006, et il existe encore des marges de progression importantes.

Votre pays est un des initiateurs du dialogue énergétique russo-européen ? Comment évolue cette initiative et quelle est le rôle que peuvent y jouer les relations franco-russes ?

La Russie et les pays de l’Union européenne font partie d’un même espace géographique et doivent donc développer leur coopération dans tous les domaines, afin de renforcer l’espace de sécurité et de prospérité que nous nous efforçons de créer. Notre coopération énergétique s’inscrit dans cette démarche de partenariat : la Russie est le premier fournisseur d’énergie de l’Europe, qui elle-même est son principal client. Même s’il reste un certain nombre de questions à régler entre nous, je pense que cette coopération énergétique va dans la bonne direction, comme l’illustrent la réalisation en cours du gazoduc Nord Stream, auquel la France est associée, et le projet South Stream, auquel nous entendons également participer. La coopération dans le domaine nucléaire, notamment dans le domaine de la sécurité, est également un sujet d’importance majeure, et nous sommes particulièrement intéressés à sa poursuite. Ceci étant, il est vrai que l’accord de partenariat Russie/ UE, dont l’énergie est l’une des aspects majeurs, n’a pas encore pu être renégocié ; mais cela n’empêche pas la poursuite d’un dialogue approfondi entre Moscou et Bruxelles et, pour ce qui nous concerne, l’intensification de notre coopération bilatérale, illustrée par la récente création du Centre franco-russe pour la coopération énergétique.

Qu’attendez-vous du Centre franco-russe pour l’efficacité énergétique, qui a été créé lors du dernier séminaire intergouvernemental en décembre 2010 ?

Ce centre a été créé afin de développer les échanges entre les acteurs des filières énergétiques russes et françaises, et associera des entreprises de nos deux pays dans la réalisation de projets conjoints. L’efficacité énergétique est un sujet majeur pour l’avenir, dans un monde où les ressources naturelles ne sont pas inépuisables ; si nous voulons poursuivre notre développement économique, trouver le moyen d’économiser l’énergie sera sans doute plus facile, et moins coûteux, que de rechercher de nouvelles sources d’énergie, même si nous y travaillons les uns et les autres. Le réchauffement climatique est l’un des défis que doit relever l’humanité au XXIe siècle : nous ne parviendrons pas à y faire face si nous ne nous attaquons pas au gaspillage de l’énergie. D’une part, un potentiel d’économie considérable existe en Russie, et les entreprises françaises sont intéressées à explorer cet immense marché ; et d’autre part, nous voulons travailler ensemble pour développer les solutions innovantes de demain. Le Centre vient de débuter ses activités, et nous en attendons beaucoup.

Comment évaluez-vous la dynamique des investissements directs français en Russie, et quelles sont les priorités des milieux d’affaires français en Russie ?

Les investissements sont une dimension très importante de notre relation économique, car ce sont eux qui créent les bases d’une coopération économique pérenne entre les Etats. Dans ce domaine, après être restées longtemps quelque peu en retrait du marché russe, les entreprises françaises sont devenues beaucoup plus actives, au point que la France est aujourd’hui le 5e investisseur en Russie, ce qui correspond à notre rang dans l’économie mondiale. Les entreprises françaises qui s’implantent ici le font pour longtemps, avec le souci de développer des partenariats durables avec les sociétés russes. Sociétés russes que nous invitons à venir s’implanter en France, qui est la première destination des investissements directs étrangers en Europe, où les possibilités d’investissements sont nombreuses et variées.

Pourriez-vous nous dire quelques mots sur les secteurs intéressant plus particulièrement les investisseurs français ?

L’économie française est diversifiée, tous les secteurs nous intéressent, même si l’on constate que nous avons des positions particulièrement fortes dans les secteurs de l’automobile, de l’industrie pharmaceutique, de la chimie et de l’agroalimentaire. Nous souhaitons tous particulièrement développer nos investissements dans les secteurs innovants à haute valeur ajoutée, ce qui explique l’intérêt des entreprises françaises pour le projet de ville innovante de Skolkovo, où plusieurs sociétés ont déjà annoncé leur intention d’implanter des centres de recherche.

Quels sont à votre avis les principaux obstacles au développement des relations commerciales et des investissements ? En particulier, quelle influence exercera l’Union douanière Russie-Biélorussie-Kazakhstan sur nos échanges et nos investissements ?

La Russie est une économie ouverte, et je dirais qu’il n’y a pas plus de difficultés à y investir qu’ailleurs ; il n’est facile de faire des affaires nulle part, les entrepreneurs le savent bien ! En Russie comme ailleurs, il y a des procédures à suivre qui ne sont pas celles que l’on connaît habituellement, des codes culturels à connaître, des relations de confiance à créer avec ses interlocuteurs. Je crois que les sociétés françaises comprennent de mieux en mieux les spécificités du marché russe, c’est ce qui explique les succès qu’elles y connaissent.
L’Union douanière supposera bien entendu des modifications de règlement qui pourront poser à court terme quelques difficultés, mais là encore, il n’y a pas qu’en Russie que la loi et les règlements changent, et je pense qu’à terme, l’Union douanière sera bénéfique pour tous, comme le sont pour le commerce tous les processus d’intégration régionale.

La coopération entre les régions russes et les départements et régions d’Outre-mer se développent-elles, et quels sont les exemples de relations ?

L’exemple qui me vient immédiatement à l’esprit est celui de notre coopération spatiale, puisque c’est cette année que débutera la série de 14 lancements de la fusée Soyouz du cosmodrome de Kourou en Guyane, dont la position géographique proche de l’équateur permet l’emport d’une charge utile de 3 tonnes, au lieu des 1, 8 tonnes que ce lanceur peut emporter depuis Baïkonour. Ce premier lancement couronnera plusieurs années d’efforts, marquées en particulier par la construction d’un portique de lancement adapté à Soyouz par des équipes russes, et marquera une nouvelle étape dans la coopération spatiale entre nos deux pays, qui fêtera bientôt ses cinquante ans.
Par ailleurs, les départements et régions d’Outre-Mer attirent de plus en plus de touristes russes, en particulier l’île de Saint-Barthélémy dans les Antilles et la Polynésie française. Nous souhaiterions élargir ces relations à d’autres domaines : les départements et régions d’outre-mer sont riches en ressources halieutiques et agricoles, et sont d’extraordinaires réservoirs de biodiversité, qui n’ont pas fini d’être étudiés. Les investisseurs et les scientifiques russes y sont donc les bienvenus !

Des processus régionaux d’intégrations sont à l’œuvre dans la région Asie-Pacifique. Que pourriez-vous nous dire sur les relations entre la Russie et la France et ses régions du Pacifique dans le cadre de ces processus ? La France a-t-elle l’intention de rejoindre l’Association des Pays de la zone Asie-Pacifique ? (APEC)

La France suit très attentivement les progrès de l’APEC, organisation dont elle est membre observateur. L’Europe et la région Asie-Pasifique doivent développer leur dialogue dans tous les domaines, que ce soit en matière économique ou en dans le domaine de la sécurité internationale ; c’est en ce sens qu’a été créé en 1996 l’ASEM, un forum politique réunissant les pays européens, les pays d’Asie du Sud-Est et d’Océanie. Nous nous réjouissons que la Russie ait décidé l’année dernière de rejoindre ce forum, qui joue un rôle important sur toutes les questions politiques et de sécurité, de coopération économique, et dans la promotion du dialogue des cultures.

publié le 27/06/2011

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